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Circé

MessagePosté: Mercredi 22 Mai 2019 0:39
par Mikcy
Pour la faire courte et ne pas raconter ma vie, j'ai eu droit ce weekend à un rappel très concret de la part de la vie qu'il fallait que j'écrive un hommage à Circé. Du coup, quand faut y aller...

(Bon, par contre, ça va certainement être très long, désolée par avance...)

Circé a eu le malheur d'être "ma gamine", comme je l'appelais, et j'ai eu le malheur d'être sa "maman" - je crains qu'il n'y ait qu'au coin de mon coude gauche qu'elle ait jamais pu boire du lait. "Malheur" parce que je pense que quelqu'un de mieux renseigné, de plus expérimenté, de plus malin que je l'étais à l'époque (genre, le moi de maintenant, par exemple... ^^') aurait sans doute pu soit la sauver, soit lui épargner beaucoup de souffrances. Et "malheur" parce que quand on considère son chat comme son enfant, c'est aussi son enfant qu'on perd quand il meurt ; et pour avoir vu ma mère pleurer ma sœur, avec laquelle elle était particulièrement fusionnelle, je ne connais pas pire douleur que celle d'un parent qui perd son enfant.

"Moi, le deuil, ça m'échappe... On fait jamais son deuil !" dit-elle parfois avec un faux rire nonchalant.

Je l'ai trouvée dans une fourrière martiniquaise. C'était la plus... Vivante des chats présents dans la grande cage façon volière. Cette cage, je la revois comme si c'était hier. Par terre, des chatons nouveaux-nés agonisants ; dans un coin de la cage en hauteur, la mère, terrorisée par la présence humaine, refusant de descendre nourrir ses petits depuis on ne sait combien de temps. Dans un autre coin à terre, une litière dégoûtante. Au milieu, une couverture affreusement sale, elle aussi. Et pendant que mon compagnon de l'époque et moi constations tout ceci avec horreur et effarement - l'employée nous avait ouvert la cage avec un grand sourire bienheureux... - Circé, elle, était très occupée à grimper au grillage tel un chaton insouciant, ignorant complètement ce qui se tramait autour d'elle. Un gentil mâle roux apparemment en pleine forme, lui, vint se frotter à nos jambes avec douceur, ronronnant, réclamant des câlins. Mais dès que Circé nous remarqua, elle fonça vers nous en miaulant, grimpa à la jambe de mon compagnon et vint se nicher dans ses bras. Nous ne pouvions nous permettre d'en prendre deux... Il fallut choisir et ce fut Circé.

Repenser à ce gentil rouquin me fait mal au cœur, me fait culpabiliser. Pourtant, je ne peux que prier pour que lui aussi ait été sorti de cet enfer qui osait se donner le nom de refuge. J'aurais aimé tous les sauver, tous les protéger...

Nous nous sommes dépêchés de payer et de remplir quelques papiers pour partir le plus vite possible. J'ai choisi le prénom durant le trajet. Très rapidement, nous avons compris que quelques jours de plus là-bas aurait été synonyme de mort pour la petite : pleine de vers et de puces, diarrhée carabinée... Et la découverte dans la foulée qu'elle n'avait pas de dents, qu'elle n'était même pas sevrée - la cage ne contenait qu'une unique gamelle de croquettes, intouchée... D'où une sérieuse gastrite.

Les soins furent longs et très éprouvants pour moi, je versai énormément de larmes sans trop comprendre pourquoi - et sans personne autour de moi pour le comprendre non plus. Je ne voulais pas assister à la mort d'un chaton, je ne voulais pas échouer à la sauver, je me le refusais... Et en parallèle, j'étais complètement terrassée que des établissements comme cette atroce fourrière existent bel et bien. Cette vision me ramenait à toutes les horreurs que les animaux subissent chaque jour, souvent gratuitement, ce drame permanent qui m'a toujours mise secrètement dans tous mes états. Finalement, avec l'aide (intéressée, certes) de l'excellent vétérinaire qui exerçait à deux pas de chez nous, ainsi que le moral d'acier de Circé à cette époque, nous finîmes par la sauver. Et ce fut le début d'une jolie histoire... Entre elle et moi, surtout, car mon compagnon (pauvre de lui) ne comprenait strictement rien aux chats et à leurs particularités !

Bien sûr, à ses yeux, j'étais devenue sa mère : elle me suivait partout, demandait son lait et n'était à l'aise qu'en ma présence. Elle pouvait dormir n'importe où tant que j'étais près d'elle. Après l'avoir nourrie quelques semaines au lait maternel à la pipette - dans le creux de mon coude gauche, donc - elle accepta enfin de goûter à ses croquettes... Puis à de la pâtée, puis à du thon... Jusqu'à ce qu'un jour, elle saisisse l'occasion d'un coup de fil de ma mère pour me voler la dernière moitié de mon steak haché - qui faisait d'ailleurs bien la moitié de sa taille ! Et pas question de le lui reprendre : un geste de ma part dans cette optique et la voilà à grogner comme une mauvaise... "Bon, bon, d'accord... Garde-le, ton steak... !" Je me rappelai ce jour-là qu'elle avait vécu la faim et je ne lui en tins pas rigueur. Quant à ma mère à l'autre bout du fil, elle rigola bien.

Les deux années à vivre en Martinique se déroulèrent bien pour elle ; bien que de caractère un peu grincheux, elle prit plaisir à jouer, à croquer les blattes, les lézards (et à les vomir après...) malgré son "emprisonnement", car je refusai de la laisser en liberté, craignant voitures, malveillances et autres tendances très violentes envers les animaux assez généralisées sur l'île. Lorsqu'elle revint avec moi en France et que nous vécûmes chez ma mère suite à ma séparation, elle vécut bien l'avion, la voiture et s'adapta aux nouvelles températures en adoptant un beau manteau de fourrure plus épaisse qui la rendit plus jolie encore qu'elle ne l'était déjà. "Qu'est-ce qu'elle est belle..." s'extasiait notre voisine en l'apercevant, pourtant de nature bourrue.

Je construisis une petite cage à Circé devant l'une de mes fenêtres afin qu'elle puisse prendre l'air dans l'herbe, chose qu'elle apprécia beaucoup. Elle y passait des heures à regarder les merles la narguer, le fils des voisins l'appeler, ma mère jardiner, Isaac (le chat de mon frère) la contourner... Deux années de paix pour elle, encore.

Et puis suite à une invasion de puces que je mis du temps à éradiquer, elle tomba malade. À l'époque, je suivais une formation de secrétaire qui s'avéra désastreuse avec des horaires trop lourds pour moi, mon meilleur ami était en train de me lâcher et Internet - mon seul hobby et contact avec mes rares amis - fonctionnait très mal, voire pas du tout. Malgré le fait que ma mère soit à la retraite et mon frère, au chômage, je dus m'occuper de tout cela sans aide ni soutien de leur part. Ma famille est... Spéciale, et affublée d'un lourd passif. Et pour ma part, je suis de nature assez sensible, et ai la dépression facile (bien que beaucoup moins maintenant, heureusement).

Circé était atteinte d'une hémobartonellose et il fallut de longues semaines pour la remettre sur pieds ; elle ne mangeait plus assez depuis plus d'un mois, mais inexpérimentée et ignare que j'étais, je pensais à un caprice. J'essayai une tonne de marques de boîtes et de croquettes pendant que son foie s'empoisonnait, avant d'enfin me décider à consulter un vétérinaire... Très tard, donc. Les soins furent longs, difficiles et m'achevèrent presque car Circé ne se battait pas - à part pour ne pas prendre ses médicaments ! Je devais la soutenir complètement, sa vie dépendait de ma capacité à la harceler jusqu'à ce qu'elle accepte de prendre ses cachets...

À bout de nerfs et tenant à parvenir à terminer ma formation, je me décidai finalement à la laisser à la clinique pour qu'ils la soignent eux-mêmes, puisqu'à la maison, personne ne proposa même de m'aider. Une grande partie du salaire de ma formation y passa... Mais trois semaines plus tard, ma chérie me fut rendue plus heureuse et épanouie que jamais. Pour fêter cela, elle m'offrit la seule forme d'affection qu'elle daignait parfois m'accorder : elle s'installa sur moi, réclama la peau de mon ventre et se mit à la piétiner de ses griffes et à la lécher de sa langue rappeuse de manière appuyée... C'était très émouvant, mais croyez bien qu'à chaque câlin, la peau de mon ventre souffrit beaucoup !

Quatre mois de paix et de douceur passèrent ainsi, sans doute les plus agréables de sa vie, et puis sans prévenir, quelque chose d'autre arriva. Elle cessa à nouveau de manger mais cette fois, je me précipitai chez le vétérinaire pour échapper à tout autre drame. Gastrite... Rien de méchant. Pourtant, malgré le traitement, je la laissai encore à la clinique quelques jours plus tard pour réhydratation... Les médicaments ne fonctionnaient pas. Je dus néanmoins prévenir le vétérinaire : si je devais encore dépasser la centaine d'euros, je me mettais en danger, moi et tout le foyer...

Finalement, le lendemain à la clinique, on me prit à part pour me dire que l'on ne savait pas, que l'on ne comprenait pas, sans trop en dire plus... Je récupérai une Circé très nerveuse, le nez quelque peu enfoncé et la serviette l'accompagnant tachée de sang. Incrédule, je demandai aux vétérinaires ce qui s'était passé, mais ils étaient en charge d'un autre animal en urgence et ne me répondirent que vaguement qu'elle s'était jetée contre les parois de sa cage (verre et céramique)... Je la ramenai à la maison, perdue et dépassée. Et surtout, seule.

Pendant deux jours, je la veillai. Son arrière-train et sa queue restaient bas. Seules des gouttes de sang sortaient lorsqu'elle se rendait à sa litière. Un peu de sang suintait de son nez. Elle vomit même une espèce de poche de sang à un moment donné. La seconde nuit, elle vint sous les draps se coucher près de moi, chose qu'elle n'avait jamais fait... Je ne pus d'ailleurs jamais me résoudre à faire partir complètement les taches de sang qu'elle y laissa. Peut-être un au revoir, peut-être une recherche de réconfort, de soulagement... Moi, je ne ressentais que du regret. J'étais désolée, tellement désolée...

Le lendemain, aucune amélioration. Nous étions dimanche... Mais le soir, je me décidai enfin à appeler le vétérinaire de garde, un type malheureusement pas très fin ni fan des chats, qui n'accepta qu'après que je l'ai supplié de venir mettre fin à ses souffrances chez moi. Circé l'accueillit avec des feulements et tenta de s'échapper après la première piqûre. Elle vomit ensuite sous l'effet du sédatif avant d'enfin peu à peu s'écrouler. Elle grognait encore dans son sommeil, ses yeux restaient ouverts et le vétérinaire avait beau la prendre et me montrer sa mollesse, m'assurer qu'elle dormait, je fus incapable de le croire. Pour la seconde piqûre, je sortis de la pièce... Il ne réapparut qu'après son devoir fait, je le payai de mes derniers sous et après son départ, ma mère me rejoignit... Oui, après, seulement. Le vétérinaire avait accepté d'envelopper Circé dans un linceul de lin, et ma mère la glissa dans une boite en carton (elle m'aidait, enfin). Elle me dit que nous l'enterrerions demain, j’acquiesçai, lui précisant de m'attendre, d'attendre mon réveil.

Le lendemain matin, lorsque je sortis de ma chambre, ma mère me montra le petit lopin de terre surmonté de pierres blanches et d'iris où elle avait enterré Circé.

Sans moi...

Bien sûr, j'étais blessée, en colère, encore plus peinée, mais je n'eus pas la force de m'exposer à un conflit supplémentaire avec elle. Lorsque je redescendis dans ma chambre (je vivais au sous-sol... Un beau sous-sol spacieux et bien aménagé, je précise), je regardai autour de moi : ses gamelles, cet endroit où elle était morte - si pitoyablement, si seule elle aussi... Et puis ces traces de sang, partout. Éclatant en sanglots, Je me lançais dans une frénésie de nettoyage, donnant rapidement les croquettes, pâtées et la litière restantes à mon frère sans le regarder, fourrant les gamelles dans le lave-vaisselle en haut, jetant les draps au lavage... Comme si j'essayais d'oublier, d'arrêter de souffrir, que je nageais frénétiquement depuis le fond de l'eau pour essayer d'atteindre une surface dont je commençais pourtant à soupçonner l’inexistence, à force de supporter si mal les aléas de la vie. Tous ceux qu'elle m'enlevait.

Circé, ma sœur, bien sûr, mais aussi Minouche, Alpha, Shiva, Jason, Zombie, Miouss, Miaouss, Minou, Mew, Pacha... À chaque fois des êtres chers, des êtres proches qui m'offraient leur affection, avec lesquels je me sentais bien et j'aimais passer du temps, moi qui suis si renfermée et qui peine tant à me faire comprendre des autres, à m'approcher d'eux...

... Oh làlà, sortez les violons, on est en plein dans la complainte interminable !! Mon compagnon vient de m'interrompre dans mon écriture et j'ai l'impression de sortir la tête d'une eau saumâtre ! Je crois que c'est mieux ainsi, ça suffit, non... ?

En tout cas, sachez quand même qu'aujourd'hui, les choses vont bien mieux : je suis une thérapie, un traitement léger mais efficace, j'ai une chatte adorable, un compagnon parfait et tout son soutien... Tout n'est pas encore parfait et j'ai encore de beaux coups de blues, mais en tout cas bien mieux qu'avant et sur une très bonne voie. Mais voilà, il y avait ce poids de deuil non consommé qui me tourmentait... Ce grand étalage suffira-t-il à m'en soulager ? Espérons-le, sinon je vais vous donner mal au crâne avec mes romans... D'ailleurs, félicitations à celles et ceux qui ont lu jusque là, vous avez gagné des fleurs ! :fleur:

Voilà, cette fois c'est vraiment fini... Merci beaucoup de m'avoir lue. Prenez autant soin de vous que de vos boules de poils ; car si vous n'êtes pas en état de vous occuper d'elles, qui le fera ?!

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Circé

MessagePosté: Mercredi 22 Mai 2019 7:22
par dominos
bonjour,
témoignage poignant !
Vous avez tout fait pour elle ! la maladie ne peut pas à chaque fois être repoussée….vous n'avez rien à vous reprocher !
et j'ai lu quelque part que la médecine vétérinaire du chat est quelque chose d'assez récent…..avant on ne soignant pas les chats….et de ce fait il y a, hélas, encore bien des choses à découvrir à ce sujet !

merci pour avoir partagé ce récit avec nous ! un récit qui en fin de compte est une belle histoire de sauvetage ! Circé a vécu heureuse avec vous même si sa vie a été trop courte.

Circé

MessagePosté: Mercredi 22 Mai 2019 7:41
par Chef
:HELLO:

Merci pour ce bel hommage et cette belle histoire de sauvetage :::wink:::

Circé

MessagePosté: Mercredi 22 Mai 2019 10:48
par plume377
Quel bel hommage rempli d'amour :coeur:
Que Circé repose en paix au paradis des chats.

Circé

MessagePosté: Mercredi 22 Mai 2019 20:04
par Croquettes92
Très bel hommage pour une minette qui a pu continuer de grandir dans l'insouciance comme tout chaton devrait le pouvoir. Puis a vécu une vie bien "accompagnée", pleine de tendresse. Merci pour cette belle vie que tu lui as permis de vivre.

Circé

MessagePosté: Samedi 25 Mai 2019 19:06
par Daeri
Quel hommage touchant.. Particulièrement poignant comme le souligne Domino. Merci pour ce témoignage sincère et plein d'amour. :lover:

Circé

MessagePosté: Mardi 28 Mai 2019 20:13
par Mikcy
Merci beaucoup pour vos gentilles réponses. Il est peut-être encore un peu tôt pour le dire, mais si ce post n'a sans doute pas tout arrangé, j'ai au moins l'impression qu'il m'a soulagée d'un poids !